MODÈLE D’HUDSON
- Roland Constantin
- 12 mai
- 10 min de lecture
I. ORIGINES ET FONDEMENTS DU MODÈLE D’HUDSON
1.1 Auteur et contexte de création
Le modèle du cycle de changement a été développé par Frederic M. Hudson, docteur en philosophie de l’éducation, fondateur de l’Institute for Life and Work Design et pionnier du coaching de transition aux États-Unis.
Il publie son modèle dans les années 1990, notamment dans deux ouvrages clés :
The Adult Years: Mastering the Art of Self-Renewal (1991)
LifeLaunch: A Passionate Guide to the Rest of Your Life (avec Pamela McLean, 1997)
Hudson propose une vision du changement comme processus naturel, rythmé par des cycles, profondément ancré dans la vie adulte, bien loin des logiques purement stratégiques ou linéaires.
Son modèle s’appuie sur des années d’observation et d’accompagnement de personnes en transition de vie ou de carrière.
1.2 Constat de départ : le changement est continu, mais non uniforme
Hudson part du constat que :
La vie adulte est composée de cycles d’expansion, de stabilisation, de doute et de transformation.
Chaque cycle a sa fonction propre : croissance, consolidation, remise en question, régénération.
Le changement n’est pas toujours une crise. Il peut être choisi, mûri, ou traversé avec lucidité.
1.3 Une alternative aux modèles linéaires de changement
La plupart des modèles de changement (comme celui de Kurt Lewin, ou le modèle de Kübler-Ross) sont :
soit centrés sur la réaction à une rupture (perte, transition),
soit structurés autour d’un passage volontaire d’un état A à un état B.
Hudson, au contraire, propose un modèle cyclique, organique, dans lequel :
on circule entre différentes phases,
il n’y a pas de début ni de fin absolue,
chaque phase est légitime, utile, nécessaire.
1.4 Une vision humaniste du développement adulte
Hudson se situe dans une approche intégrative et humaniste :
Il reconnaît la complexité de la vie adulte : enjeux professionnels, existentiels, affectifs.
Il invite à accueillir les temps de doute, de vide, d’inertie comme des temps fertiles.
Il propose de développer une posture d’écoute du cycle, plutôt qu’une volonté constante de maîtrise.
« Le travail de la vie adulte n’est pas d’éviter le changement, mais d’apprendre à le danser. »
— Frederic Hudson
II. LES 4 PHASES DU CYCLE DE CHANGEMENT (HUDSON)
Ces phases ne sont ni hiérarchisées ni figées : on peut y revenir, y séjourner plus ou moins longtemps, et les vivre avec plus ou moins de clarté ou de résistance.
Hudson représente le cycle du changement comme une boussole dynamique, avec quatre quadrants organisés dans le sens des aiguilles d’une montre :
Phase 1 : Renouveau (Sud-Est)
Phase 2 : Alignement / Consolidation (Nord-Est)
Phase 3 : Doute / Déstabilisation (Nord-Ouest)
Phase 4 : Désengagement / Désorientation (Sud-Ouest)
Cette structure en cercle symbolise que le changement n’est pas un problème à résoudre, mais un rythme à écouter.
1. Phase 1 – Renouveau (Sud-Est)
Mots-clés : élan, commencement, vision, expérimentation
Caractéristiques :
Période d’ouverture, de nouveauté
Energie forte, motivation spontanée
Nouveaux projets, désirs, rencontres, impulsions
Prise d’initiatives, créativité
Risques :
Éparpillement, illusions, surinvestissement émotionnel
Oublier de consolider ce qui naît
Accompagnement :
Canaliser l’élan dans une vision claire
Soutenir la structuration sans freiner l’élan
Clarifier les intentions profondes
2. Phase 2 – Alignement / Stabilité (Nord-Est)
Mots-clés : maîtrise, consolidation, structure, rayonnement
Caractéristiques :
Période de maturité et de stabilité
Récolte des fruits du renouveau
Savoir-faire affirmé, positionnement clair
Sentiment d’être à sa place
Risques :
Rigidification, automatisme, surcontrôle
Se couper des signaux subtils de fin de cycle
Accompagnement :
Soutenir l’ancrage sans sclérose
Inviter à la vigilance intérieure : suis-je encore aligné ?
Préparer à écouter les signes d’une bascule
3. Phase 3 – Doute / Déstabilisation (Nord-Ouest)
Mots-clés : perte de sens, questionnement, tension intérieure
Caractéristiques :
Inconfort diffus ou douleur explicite
Dissonance entre ce que je vis et ce que je ressens
Apparition de tensions, de fatigue, de résistance
Besoin de réajuster mais sans savoir comment
Risques :
Auto-culpabilisation
Fuite en avant ou inertie
Décisions impulsives mal préparées
Accompagnement :
Nommer le doute sans précipiter le changement
Travailler l’écoute des signaux faibles
Soutenir la légitimité du malaise comme seuil de croissance
4. Phase 4 – Désengagement / Cocooning (Sud-Ouest)
Mots-clés : repli, repos, retrait, vide fertile
Caractéristiques :
Fin d’un cycle, perte d’élan
Phase d’introspection, de ralentissement
Parfois vécue comme vide, fatigue, perte de repères
Besoin de se poser, digérer, déposer
Risques :
Être jugé par soi ou l’entourage (« je ne fais rien »)
Se figer dans le vide sans le traverser
Accompagnement :
Autoriser le vide comme phase nécessaire de régénération
Soutenir le retrait actif, la digestion intérieure
Laisser émerger les signaux du prochain cycle
III. DYNAMIQUE CIRCULAIRE ET TEMPORALITÉ INTÉRIEURE
**3.1 Une dynamique cyclique, non linéaire
Le modèle de Hudson repose sur une vision rythmique de la vie adulte.
Contrairement à une représentation en escalier ou en ligne droite, il propose :
une alternance permanente entre élans et ralentissements,
des moments de construction et de déconstruction,
une circulation fluide, parfois chaotique, toujours signifiante.
Chaque phase prépare la suivante, mais sans obligation ni précipitation.
Le changement n’est pas une ligne droite, c’est un tissage de mouvements visibles et invisibles.
3.2 Une traversée, pas une fuite
Beaucoup de modèles centrés sur l’action incitent à :
éviter le vide (phase 4),
sortir vite du doute (phase 3),
revenir au renouveau comme s’il était toujours désirable.
Hudson propose l’inverse :
Chaque phase a une valeur propre,
Le « cocooning » (phase 4) est essentiel pour que l’émergence soit féconde,
Le doute est un lieu de réalignement, pas un échec.
3.3 Temporalité intérieure et subjectivité du rythme
Chaque personne :
circule à son propre rythme,
reste plus ou moins longtemps dans une phase selon :
son histoire,
ses ressources,
son contexte de vie.
Certaines transitions sont rapides :
Désengagement puis re-renouveau (petit cycle de réalignement)
D’autres sont longues :
Crise existentielle suivie d’un long cocooning (burn-out, deuil, fin d’une époque de vie)
Le modèle d’Hudson nous invite à écouter notre écologie intérieure du changement,
plutôt que d’appliquer des normes de performance ou de vitesse.
3.4 Cycle personnel et cycle professionnel : deux boucles superposées
Il est possible d’être :
en phase de renouveau dans sa vie privée (nouvelle relation, nouveaux projets)
et en désengagement dans sa vie professionnelle (perte de motivation, automatisme)
en alignement fort sur le plan de la mission,
mais en doute identitaire sur sa posture ou ses valeurs
Le travail du coach est alors d’entrelacer les cycles, de permettre à la personne d’les cartographier, sans les confondre.
IV. APPLICATIONS CONCRÈTES EN COACHING
4.1 Coaching individuel – Clarification du moment de vie
Le modèle d’Hudson est particulièrement pertinent pour aider un coaché à nommer où il en est, sans pathologiser, ni forcer le passage à l’action.
Questions clés du coach :
« Où est-ce que tu sens que tu es dans ce cycle ? »
« Qu’est-ce qui est en train de se terminer… ou d’émerger ? »
« Est-ce un moment pour ralentir, pour choisir, ou pour rêver ? »
Effets :
Soulagement (« je ne suis pas perdu, je suis en transition »)
Revalorisation des phases de retrait
Capacité à écouter les mouvements profonds sans se juger
4.2 Coaching de transition ou reconversion
Dans une reconversion, le modèle permet de :
Phase du coaché | Posture adaptée du coach |
Phase 3 – Doute | Nommer la perte de sens, accueillir les contradictions |
Phase 4 – Vide | Sécuriser le retrait, ralentir le tempo, éviter les fausses urgences |
Phase 1 – Renouveau | Ouvrir des pistes, nourrir la vision, canaliser l’élan |
Phase 2 – Stabilité | Structurer, accompagner la mise en place durable |
Le coaching devient alors un art d’habiter le cycle, pas seulement de « réussir » un projet.
4.3 Coaching en situation de crise
Dans les cas de burn-out, de rupture, ou de crise identitaire, Hudson est un outil de déculpabilisation et de repérage.
Il permet d’expliquer pourquoi certaines démarches rationnelles ne prennent pas (la personne est en phase de retrait, pas en phase d’action)
Il aide à accompagner sans forcer : écouter la régénération silencieuse, rendre le vide légitime
Il offre un cadre sécurisant dans une période où le sens s’effondre
4.4 Coaching de dirigeants ou d’accompagnants
Le modèle peut être utilisé pour :
prévenir l’usure par sur-stimulation (certains restent coincés en phase 1 ou 2 trop longtemps),
aider à repérer les signaux faibles d’un besoin de pause, de recentrage,
valider que ralentir n’est pas reculer, mais souvent une maturation invisible.
Un dirigeant en fin de cycle qui ne s’autorise pas à désengager devient un danger pour lui-même et pour son équipe.
4.5 Coaching d’équipe (avec prudence)
L’outil peut être adapté pour :
nommer les dynamiques cycliques d’un collectif,
distinguer les membres en phases différentes (certains sont moteurs, d’autres décrochent),
poser des temps de régénération dans les projets longs.
Exemple : une équipe en fin de projet peut être collectivement en phase 4. Vouloir immédiatement repartir en phase 1 sans cocon ne produit que fatigue et désengagement.
L’objectif est d’accompagner avec justesse, souplesse et finesse, en respectant le rythme intérieur du coaché.
V. OUTILS ASSOCIÉS AU MODÈLE D’HUDSON EN COACHING
5.1 La posture du coach dans le cycle
Phase du coaché | Posture du coach |
Renouveau (1) | Canaliser l’élan, faire émerger une vision claire, éviter la dispersion |
Alignement (2) | Consolider les acquis, développer la conscience, soutenir l’ancrage |
Doute (3) | Créer un espace de questionnement sans urgence, légitimer l’inconfort |
Désengagement (4) | Ralentir, sécuriser le vide, accueillir la perte sans vouloir la combler |
La neutralité bienveillante est ici essentielle : le rôle du coach n’est pas d’amener à « la bonne phase », mais de reconnaître la justesse de celle qui est là.
5.2 Questions clés selon chaque phase
Phase 1 – Renouveau
Qu’est-ce qui t’appelle en ce moment ?
Qu’as-tu envie d’oser sans te perdre ?
Quelle forme de nouveauté serait vraiment féconde pour toi ?
Phase 2 – Alignement
À quoi reconnais-tu que tu es à ta place ?
Qu’est-ce que tu veux stabiliser ? ritualiser ?
Y a-t-il quelque chose que tu veux transmettre ?
Phase 3 – Doute
Qu’est-ce qui ne vibre plus comme avant ?
Où sens-tu des frottements, des tensions ?
De quoi ne veux-tu plus ?
Phase 4 – Désengagement / Vide
Que voudrais-tu déposer ou laisser mourir ?
As-tu besoin d’espace, de temps, de silence ?
Quelle est la qualité de présence dont tu aurais besoin aujourd’hui ?
5.3 Outils de visualisation / structuration
A. La boussole du cycle
Présenter les 4 phases en cercle (Nord-Est, Sud-Est, Sud-Ouest, Nord-Ouest)
Proposer au coaché de se situer, de tracer son parcours récent, de repérer les moments de bascule
B. Le journal des micro-mouvements
Noter chaque semaine :
Ce qui me donne de l’élan
Ce qui s’épuise
Ce que j’ai envie de ralentir
Ce qui cherche à naître
Permet de voir émerger le mouvement du cycle au fil du temps
C. La métaphore du jardin
Phase 4 : hiver – temps de repos, rien ne pousse, mais la terre travaille
Phase 1 : printemps – germes fragiles, énergie nouvelle
Phase 2 : été – floraison, rayonnement
Phase 3 : automne – récolte, mais aussi pertes, fatigue, remise en question
VI. LIMITES, PRÉCAUTIONS ET RECOUPEMENTS AVEC D’AUTRES MODÈLES
6.1 Limites du modèle d’Hudson
1. Ce n’est pas un outil de diagnostic
Le modèle ne permet pas de dire avec certitude « où en est » une personne.
Il repose sur une subjectivité assumée, à accueillir avec délicatesse.
Il ne s’applique pas de façon prescriptive : une phase ne doit pas conduire à une action automatique.
Le danger serait de se dire :
« Tu es en phase 3, donc il faut faire ceci. »
2. Vision culturellement située
Le modèle de Hudson s’ancre dans une vision occidentale du changement : individualiste, orientée croissance.
Il peut nécessiter des ajustements en fonction des contextes socioculturels, du rapport au temps, au vide, à la transformation.
3. Pas de prise en compte de la psychopathologie
Dans certains cas (dépression, trauma non intégré), la phase 4 peut être confondue avec un trouble profond.
Il est essentiel de différencier une désorientation saine d’un effondrement pathologique, et d’orienter si nécessaire vers un autre professionnel.
6.2 Précautions dans l’usage en coaching
Risque | Précaution à adopter |
Lecture figée des phases | Toujours introduire le modèle comme une hypothèse à explorer, jamais une vérité figée |
Projection du coach | Travailler à partir des signaux du coaché, non de sa propre lecture du cycle |
Forçage vers l’action | Respecter les tempos subjectifs, surtout dans les phases 3 et 4 |
Sur-utilisation symbolique | Ne pas substituer le modèle à l’expérience vécue du coaché |
6.3 Recoupements et articulations avec d’autres modèles
Avec le modèle de transition de William Bridges
Bridges | Hudson |
Fin | Phase 4 (désengagement) |
Zone neutre | Phase 3 (doute) |
Nouveau départ | Phase 1 (renouveau) |
Bridges offre une lecture plus centrée sur la réaction émotionnelle au changement, Hudson propose une écologie du mouvement global.
Avec la spirale dynamique
La spirale décrit des niveaux d’évolution de conscience.
Hudson décrit des phases cycliques au sein d’un même niveau.
Les deux peuvent se superposer intelligemment pour accompagner des transitions de sens, de valeurs, de posture.
Avec les modèles de développement adulte (ex. Kegan, Loevinger)
Kegan (1994) décrit des stades de complexité croissante de l’identité.
Hudson permet de repérer les moments où un palier est en train d’être franchi.
La phase 3 (doute) ou 4 (vide) correspond souvent à une friction entre deux niveaux d’identité.
VII. ÉTUDES DE CAS ILLUSTRÉES
Cas 1 – Stéphane, 41 ans : le vide qui n’est pas une fuite
Contexte :
Stéphane a quitté son poste de cadre dans l’édition après 15 ans, sans projet clair. Il dit :
« Je sais ce que je ne veux plus. Mais je ne sais plus ce que je veux. »
Il se juge de « ne rien faire », de ne pas « rebondir ».
Lecture Hudson :
Phase 4 – Désengagement / vide fertile
Fin de cycle professionnelle assumée
Vide non encore habité comme ressource
Croyances négatives autour de l’inaction
Travail de coaching :
Revaloriser la phase 4 : travail invisible, fertilité du vide
Accompagner un cocooning actif : lecture, reconnexion, silence, lenteur
Soutenir la confiance dans l’émergence
Résultat :
Réduction de la culpabilité
Retour spontané d’un élan créatif après quelques semaines
Nouveau projet en lien avec le livre illustré et la transmission
Cas 2 – Clara, 36 ans : quand l’alignement fatigue
Contexte :
Clara dirige une association depuis 4 ans. Elle dit se sentir bien « objectivement »… mais à l’intérieur, quelque chose se détache :
« Tout fonctionne, mais je suis moins là. »
Lecture Hudson :
Phase 2 → début de phase 3
Encore en poste, mais décalage subtil
Énergie basse, désengagement diffus
Début de dissonance entre rôle extérieur et ressenti intérieur
Travail de coaching :
Écoute fine des signaux faibles
Validation que l’alignement apparent peut précéder un basculement
Exploration des « zones qui ne vibrent plus »
Écriture : ce qu’elle veut garder, laisser, transformer
Résultat :
Clara a amorcé une transition en douceur vers un nouveau modèle d’engagement
Elle a gardé son poste, mais refondu ses missions pour réactiver sa zone d’élan
Cas 3 – Coaching en reconversion : anticiper la dispersion
Contexte :
Nora, 29 ans, sort d’une rupture professionnelle. Elle se sent pleine d’envies, commence 4 projets à la fois, mais s’épuise. Elle dit :
« Je veux tout faire maintenant. »
Lecture Hudson :
Phase 1 – Renouveau
Élan fort, mais mal canalisé
Besoin de structuration douce pour éviter l’épuisement
Travail de coaching :
Nommer l’emballement naturel de la phase 1
Sélectionner un ou deux projets avec une cohérence émotionnelle
Introduire un journal d’élan et d’énergie : quand je me sens vivant, pourquoi ?
Résultat :
Nora a gardé 2 projets phares, différé les autres
Elle a pu goûter le mouvement sans le confondre avec la course
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