Cohérence narrative : comprendre, reconstruire, se relier à soi
- Roland Constantin
- il y a 2 jours
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Dernière mise à jour : il y a 9 heures
Introduction générale
Il est rare qu’un être humain puisse dire : « Je sais exactement qui je suis, où je vais, et comment tout ce que j’ai vécu s’agence avec clarté dans mon existence. »
Et pourtant, c’est bien cela que notre psychisme cherche à construire, souvent sans que nous en soyons conscients : un récit qui tienne ensemble les morceaux épars de notre vie.
Ce récit, ce n’est pas une suite d’événements objectifs.
C’est l’histoire que nous nous racontons de nous-mêmes — parfois bancale, parfois embellie, parfois éclatée — mais toujours chargée de sens. C’est cela, la cohérence narrative : la capacité à donner à notre vie une forme d’unité signifiante, malgré les chaos, les ruptures, les silences, les contradictions.
Un besoin fondamental : faire tenir le moi dans le temps
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, notre identité n’est pas une substance figée. Elle est façonnée, chapitre après chapitre, par ce que nous vivons, comprenons, traversons. Et pour que ce flux d’événements ne nous disperse pas, notre conscience a besoin de mettre de l’ordre, d’établir des liens entre les faits, les émotions et les décisions.
C’est ce travail, largement inconscient, qui donne naissance à un récit intérieur.
Un récit qui nous dit : « Voilà pourquoi je suis comme ça. Voilà d’où je viens. Voilà ce qui m’a façonné. Voilà ce que je vaux. »
Quand ce récit est cohérent, même si douloureux, il permet d’avancer.
Mais quand il est fragmenté, contradictoire ou bâti sur des non-dits, il peut devenir une source de souffrance, de confusion ou de blocage identitaire.
Pourquoi la cohérence narrative est-elle essentielle ?
Parce qu’elle est le tissu conjonctif du psychisme.
Elle relie :
le passé, pour l’inscrire dans une logique compréhensible ;
le présent, pour donner un sens à nos ressentis et nos choix ;
le futur, pour projeter une continuité possible, une forme de fidélité à soi.
Un individu peut traverser des épreuves extrêmes (deuil, rupture, maladie, violence) et se reconstruire, non pas en oubliant, mais en réintégrant l’événement dans un récit plus vaste.
C’est lorsque je peux dire : « Cela a été terrible, mais cela fait partie de mon histoire » que je commence à cicatriser.
Quand la cohérence narrative se brise…
Mais parfois, ce récit s’interrompt, se trouble, se contredit.
Un événement vient contredire tout ce que l’on croyait vrai sur soi-même.
Une relation prend fin et laisse un vide incohérent : Pourquoi cela s’est-il terminé ? Qui étais-je, en réalité, dans ce lien ?
Ou encore, on regarde en arrière et on ne parvient plus à relier les étapes de sa vie : Pourquoi ai-je fait ce choix ? Qu’est-ce que cela raconte de moi ?
Ce sont là des fractures narratives — souvent invisibles, mais profondément invalidantes.
Ce que propose ce document
Ce document a pour but de comprendre, pas à pas :
ce qu’est la cohérence narrative et d’où elle vient ;
pourquoi elle est centrale dans la construction de soi ;
comment elle se construit, se détruit, puis se restaure ;
quels outils concrets permettent d’en prendre soin ou de la réparer.
Il s’adresse à toute personne désireuse de comprendre son propre récit, mais aussi à celles et ceux qui accompagnent les autres (thérapeutes, coachs, enseignants, soignants…), afin de les aider à retrouver le fil d’une histoire vivable.
Chapitre 1 — Fondements conceptuels
La cohérence narrative n’est pas un simple outil psychologique ni une métaphore littéraire appliquée à l’identité. Elle s’inscrit dans un champ interdisciplinaire, au croisement de la philosophie, de la psychologie, de la linguistique, des sciences cognitives et de la psychothérapie. Ses racines sont profondes, ancrées dans les tentatives humaines de donner un sens à l’existence à travers le récit.
1.1 — Une idée ancienne : l’homme comme être de récit
Depuis toujours, les civilisations racontent pour transmettre, pour se souvenir, pour exister. Des mythes fondateurs aux journaux intimes, la narration structure l’expérience humaine. Le langage n’est pas qu’un moyen de communication : c’est un instrument de mise en forme du monde intérieur.
Ce que l’être humain ne peut pas comprendre, il l’organise.
Et ce qu’il ne peut pas supporter, il tente de l’inscrire dans une logique, fût-elle imparfaite.
C’est dans cette tentative de rendre l’expérience intelligible que naît le récit de soi.
1.2 — Paul Ricoeur et l’identité narrative
Le philosophe français Paul Ricoeur, dans son œuvre majeure « Temps et récit », a posé les bases du concept d’identité narrative. Pour lui, l’identité n’est pas une essence stable, mais le résultat d’une mise en récit de l’existence. Ce que nous appelons “moi”, ce n’est pas un noyau fixe, mais une histoire que nous construisons à partir de nos expériences, de nos choix, de nos souvenirs.
Il distingue deux formes d’identité :
L’idem (le même) : ce qui reste relativement constant dans le temps (traits de personnalité, nom, rôle social)
Le ipse (le soi) : ce qui se transforme, évolue, cherche du sens dans le changement
La narration permet de tenir ensemble ces deux dimensions : elle fait coexister ce qui perdure et ce qui change. Ainsi, raconter sa vie, ce n’est pas simplement énumérer des faits, c’est créer une unité dynamique entre ce que l’on a été, ce que l’on est, et ce que l’on aspire à devenir.
1.3 — Dan McAdams : la psychologie du récit de soi
Aux États-Unis, le psychologue Dan P. McAdams a développé une approche complémentaire, en étudiant le rôle des récits personnels dans la construction de l’identité. Pour lui, chaque individu se forge une “histoire de vie” qui organise ses souvenirs, ses valeurs, ses conflits et ses aspirations.
Il identifie plusieurs composantes dans cette histoire de soi :
Le cadre de vie (le décor, les personnages principaux)
Les épisodes clés (événements fondateurs, tournants)
Les thèmes récurrents (quête de liberté, justice, rédemption…)
Le ton général du récit (optimiste, tragique, désillusionné…)
Ce récit n’est pas figé. Il est interprété, réécrit, corrigé en fonction de l’évolution intérieure de la personne. Lorsqu’il devient incohérent — par exemple après un trauma ou une rupture brutale — cela peut entraîner une perte de repères identitaires, voire des symptômes dépressifs ou anxieux.
1.4 — La mémoire autobiographique : une base neuropsychologique
La cohérence narrative repose aussi sur des bases cognitives. Le neuropsychologue Endel Tulving, dans ses recherches sur la mémoire, distingue plusieurs types de mémoire humaine. L’une d’elles, la mémoire autobiographique, est celle qui permet de se souvenir des événements vécus personnellement, mais aussi du contexte émotionnel et de leur signification.
Cette mémoire n’est pas neutre ni objective : elle est reconstruite, sélective, et souvent guidée par le récit que l’on se fait de soi-même.
Ainsi, deux personnes ayant vécu un même événement peuvent en conserver une trace radicalement différente, en fonction du sens qu’elles lui donnent dans leur histoire. Cette reconstruction continue forme un des piliers de la cohérence narrative.
1.5 — Le récit comme lien entre mémoire, langage et identité
Le récit de soi est donc le fruit de trois processus convergents :
La mémoire, qui sélectionne, trie, recompose ;
Le langage, qui nomme, structure, met en forme ;
L’identité, qui cherche à s’unifier, à donner du sens à ce qui a été vécu.
Exemple concret :
Un individu qui a été quitté de façon brutale peut construire deux récits radicalement opposés :
L’un dira : « Cela prouve que je ne suis pas aimable. »
L’autre dira : « J’ai survécu à quelque chose de dur, et cela m’a montré que je pouvais me reconstruire. »
Dans les deux cas, l’événement est le même, mais le récit transforme la signification, et donc la perception de soi-même.
Ce chapitre a posé les bases conceptuelles. Le suivant s’attachera à explorer les mécanismes internes de la cohérence narrative, pour mieux comprendre comment le cerveau et le langage fabriquent un récit, et ce qu’il se passe quand ce processus se fragilise.
Chapitre 2 — Mécanismes de la cohérence narrative
Comprendre ce qu’est la cohérence narrative suppose d’entrer dans le fonctionnement intérieur du récit de soi. Comment se forme-t-il ? De quoi dépend sa stabilité ? Pourquoi certaines expériences viennent-elles le renforcer, et d’autres le faire vaciller ?
La cohérence narrative n’est pas un bloc monolithique, mais un équilibre mouvant, fragile, fait de relations entre événements, émotions, valeurs et langage. Ce chapitre explore les structures qui la soutiennent et les failles qui peuvent l’ébranler.
2.1 — Trois niveaux de cohérence : temporelle, causale et thématique
La recherche en psychologie narrative a identifié trois formes complémentaires de cohérence, toutes nécessaires pour que le récit de soi “tienne debout” :
a) Cohérence temporelle
C’est la capacité à ordonner les événements dans une séquence chronologique logique. Cela permet de dire :
« Il s’est passé ceci, puis cela, et ensuite j’ai réagi comme ça. »
Exemple : « En 2012, j’ai repris des études. C’est là que j’ai changé d’orientation professionnelle.»
Sans cette chronologie, les souvenirs deviennent désordonnés, le passé flou, et le récit confus.
b) Cohérence causale
Il s’agit d’établir des liens de cause à effet entre les événements : comprendre comment un événement en a entraîné un autre, et comment il a modifié les comportements, les émotions ou les croyances.
Exemple : « Quand j’ai vécu cette trahison, j’ai commencé à ne plus faire confiance aussi facilement. »
Ce lien de causalité crée du sens, même dans la douleur. Il permet de ne pas subir l’histoire, mais de la comprendre comme un processus transformateur.
c) Cohérence thématique
C’est la répétition ou la persistance de certains motifs, croyances, valeurs ou tensions dans le récit. Elle donne une “couleur”, une tonalité, une continuité intérieure.
Exemple : « Depuis l’adolescence, j’ai toujours cherché à me sentir libre. Même mes choix professionnels ont suivi cette quête. »
Quand cette cohérence thématique est absente, la personne peut se sentir fragmentée, comme si les différentes périodes de sa vie n’étaient pas reliées par un fil rouge.
2.2 — Le rôle du langage et de la symbolisation
Le récit de soi ne se contente pas de relater des faits : il les nomme, les encode émotionnellement, les habille de mots. Le langage permet la prise de distance, la compréhension et la mise en forme.
Sans mots, le vécu reste brut, sensoriel, souvent flou et douloureux. La capacité à symboliser — c’est-à-dire à transformer une expérience en représentation consciente — est essentielle pour l’intégrer dans le récit de soi.
Exemple : un enfant ayant été ignoré émotionnellement pourra, à l’âge adulte, mettre des mots comme « insécurité », « abandon », ou « non-reconnaissance » sur ce qu’il a vécu. Ces mots ne sont pas des excuses : ils permettent de contenir l’expérience dans une forme intelligible.
Lorsque cette symbolisation échoue (par exemple après un traumatisme), les événements restent inassimilables, parfois même inexprimables. On parle alors de trou noir narratif.
2.3 — Le cerveau narratif : un besoin structurel de sens
Sur le plan neurocognitif, le cerveau humain n’aime pas le vide de sens. Il cherche à comprendre, à organiser, à relier.
Des études en neurosciences montrent que l’être humain a tendance à fabriquer des histoires même à partir d’éléments disparates (cf. les expériences de Fritz Heider avec les triangles animés). Cela révèle que le récit est un mécanisme naturel du cerveau, un filtre interprétatif indispensable.
Mais cette capacité peut aussi jouer contre nous :
Quand les explications manquent, l’esprit invente des récits négatifs, souvent autocritiques, pour combler le vide.
Exemple : « S’il/elle ne m’a pas recontacté(e), c’est que je ne suis pas intéressant(e). »
Le fait brut (absence de message) est interprété à travers un récit dévalorisant, faute d’éléments pour construire une autre trame.
2.4 — Figures d’incohérence narrative
Certains signes indiquent qu’une personne vit une rupture ou une fragilité de son récit intérieur. Ces “figures” peuvent être transitoires ou installées durablement :
L’inversion de la causalité (« Je suis malheureux, donc ma vie entière a été un échec. »)
La généralisation écrasante (« Tout ce que j’ai vécu n’a servi à rien. »)
Le récit flottant (« Je ne sais plus dans quel ordre les choses se sont passées, ni ce que j’ai ressenti. »)
Le récit emprunté (« On m’a toujours dit que j’étais comme ça. »)
Le mutisme ou le refus de raconter (« Ce que j’ai vécu, je ne peux pas le dire. »)
Chacune de ces figures indique un point de tension, de discontinuité ou de souffrance dans la trame de l’histoire personnelle.
Ce chapitre a permis d’explorer les structures internes qui soutiennent la cohérence narrative, ainsi que les signes de sa fragilité. Le chapitre suivant entrera dans une perspective thérapeutique, en montrant comment la narration peut être outil de transformation dans les accompagnements psychologiques.
Chapitre 3 — La cohérence narrative en psychothérapie
En psychothérapie, le récit de soi n’est pas seulement une manière d’exprimer un mal-être. Il devient un outil de transformation à part entière. Depuis les travaux pionniers de Michael White et David Epston, l’approche narrative s’est imposée comme une voie thérapeutique puissante pour redonner du sens, de la cohérence et du pouvoir d’agir à ceux dont l’histoire intérieure est fragmentée ou écrasante.
Ce chapitre explore les principes, les effets et les usages de la narration en contexte thérapeutique, en mettant l’accent sur les processus de désidentification, de résignification et de recomposition du moi.
3.1 — L’approche narrative : sortir du récit dominant
L’approche narrative repose sur une idée simple mais puissante :
Les personnes ne sont pas le problème. Le problème, c’est le problème. Et souvent, c’est le récit autour du problème qui enferme.
Michael White et David Epston ont développé cette méthode en montrant que les individus sont souvent prisonniers de récits dominants, qui deviennent rigides, dévalorisants, et peu nuancés.
Exemple : une personne ayant été en échec scolaire répète depuis des années : « Je suis quelqu’un qui rate tout ce qu’il entreprend. »
Le thérapeute narratif ne cherche pas à contredire ce récit de front. Il invite plutôt la personne à explorer des récits alternatifs, souvent restés invisibles, marginalisés ou tus :
des moments de réussite ignorés ;
des actes de résistance oubliés ;
des valeurs personnelles non reconnues.
En les mettant en lumière, le récit central peut être déplacé, enrichi ou réécrit, permettant à la personne de ne plus se confondre avec sa souffrance.
3.2 — Le remaniement de l’histoire de soi
Dans les thérapies centrées sur le récit, le travail ne consiste pas seulement à parler, mais à restructurer le sens attribué aux événements vécus. C’est un processus lent, parfois douloureux, mais profondément libérateur.
On peut distinguer trois étapes principales :
a) L’extériorisation du problème
Le fait de mettre le vécu à distance en le nommant (“la peur”, “la honte”, “la perte”, etc.) permet à la personne de ne plus s’identifier totalement à lui.
Ce n’est plus « je suis la honte », mais « je ressens de la honte, et elle me parle de… »
b) La mise en récit de moments alternatifs
Le thérapeute invite à retrouver des exceptions, des nuances, des scènes de vie qui viennent nuancer le récit dominant.
Exemple : « Y a-t-il eu un moment où vous avez agi autrement, malgré ce que vous pensiez être votre “caractère” ? »
Cela permet de revaloriser des compétences oubliées, des choix passés ignorés, et de nourrir un sentiment d’identité plus large que le problème.
c) La réappropriation et la projection
Une fois de nouvelles significations émergées, le récit peut être intégré dans une continuité plus apaisée, et orientée vers l’avenir.
Il ne s’agit pas de nier les douleurs, mais de leur donner une place qui ne parasite plus l’ensemble de l’histoire.
3.3 — L’écriture de soi comme outil thérapeutique
L’écriture est l’un des moyens les plus puissants pour travailler la cohérence narrative. Elle permet de :
poser des repères temporels (avant / pendant / après) ;
explorer les émotions sans les subir ;
se relire, donc prendre de la distance ;
formuler des phrases inédites, qui modifient le regard porté sur soi.
Des formes très diverses d’écriture peuvent être utilisées :
lettres non envoyées,
journal des tournants de vie,
scènes réécrites avec un autre dénouement,
dialogues imaginés avec une partie de soi-même (l’enfant que l’on a été, par exemple).
Exemple : écrire une lettre au « moi de 10 ans » peut permettre de reconstruire une continuité affective là où il y a eu un vide ou une blessure.
3.4 — Les effets cliniques observés
Plusieurs effets thérapeutiques ont été documentés dans les recherches sur les pratiques narratives. Parmi eux :
Un regain de sentiment de continuité personnelle, même après des expériences violentes ou déstructurantes ;
Une réduction des symptômes dépressifs ou dissociatifs, quand l’histoire devient plus compréhensible et intégrée ;
Un renforcement de l’estime de soi, en découvrant que l’on n’est pas réductible à une étiquette ou un épisode de vie ;
Un retour du pouvoir d’agir, car en modifiant son récit, on commence à modifier ses choix, ses relations, sa posture.
La narration n’est pas une simple reconstruction intellectuelle : elle engage le sujet dans un rapport vivant, incarné et évolutif à lui-même.
Le prochain chapitre abordera ce qui se passe quand la cohérence narrative se brise, et comment certaines expériences de vie viennent créer des trous, des conflits ou des silences dans le récit intérieur.
Chapitre 4 — Dissonance narrative et souffrance psychique
La cohérence narrative n’est pas acquise une fois pour toutes. Même les individus les plus stables, les plus conscients de leur histoire et de leurs choix, peuvent se retrouver confrontés à des événements ou des tournants de vie qui viennent fracturer l’unité du récit.
Cette dissonance narrative n’est pas simplement un inconfort psychologique : elle peut devenir une source majeure de détresse, de confusion identitaire, de symptômes anxieux ou dépressifs. Ce chapitre explore les différentes formes que prend cette rupture de sens, et les dynamiques qu’elle engage au niveau psychique.
4.1 — Le récit brisé : une faille dans la continuité du moi
Quand un événement surgit et ne peut pas être intégré dans le récit personnel — soit parce qu’il contredit radicalement les croyances identitaires, soit parce qu’il est trop brutal pour être symbolisé — il crée une forme de court-circuit narratif.
La personne peut alors ressentir :
une perte de repères intérieurs (« je ne me reconnais plus ») ;
une fragmentation du moi (« il y a un avant et un après, et je ne sais pas comment les relier ») ;
une culpabilité ou une honte flottante, liées au fait de ne pas “savoir comment raconter” ce qui s’est passé ;
une impuissance émotionnelle, où les mots semblent insuffisants, inaccessibles, ou dangereux.
Exemple : un changement de comportement ou de regard radical chez une personne proche peut laisser celui qui le subit dans un état de stupeur : « Tout ce que je croyais établi s’est effondré. Je ne sais plus ce que cela dit de moi. »
4.2 — Chocs biographiques et zones muettes
Certains événements viennent dérober le sens là où il semblait établi. On parle ici de chocs biographiques : situations où le récit de soi, jusque-là cohérent, se voit confronté à une discontinuité si forte qu’elle rend inintelligible ce qui a été vécu.
Il peut s’agir de :
pertes brutales (décès, séparation, exclusion) ;
révélations inattendues (secret de famille, trahison, dissimulation) ;
retournements de perception (réaliser que ce qu’on pensait “juste” était en fait toxique, ou inversement).
Ces situations entraînent souvent la création de zones blanches ou muettes dans le récit.
Des moments que l’on n’arrive plus à raconter, ou que l’on ne raconte que de manière automatique, sans émotion — signe d’une dissociation partielle.
Exemple : « Je peux expliquer ce qui s’est passé, mais je ne ressens plus rien. Comme si ce n’était pas vraiment moi. »
4.3 — Le rôle du silence et du non-dit
La cohérence narrative n’est pas uniquement fondée sur ce qui est dit. Elle dépend aussi de ce qui ne peut pas être dit.
Certains récits sont inachevés parce que les mots n’ont pas pu circuler au moment où cela aurait été nécessaire :
dans l’enfance, faute d’écoute ;
dans le couple, faute d’espace de parole réel ;
dans une communauté, sous le poids du regard ou de la norme.
Ces silences forment des poches de tension narrative, des points aveugles où l’histoire s’arrête, ou se tord.
Exemple : une personne peut parler de toute sa vie familiale sauf d’un certain parent, toujours esquivé. Ce non-dit devient un nœud dans la narration, source de malaise ou d’incompréhension diffuse.
4.4 — Conflit de récits et enfermement identitaire
Une autre source fréquente de dissonance est le conflit entre plusieurs récits concurrents :
celui qu’on se fait de soi,
celui que les autres nous renvoient,
celui qu’on essaie de construire pour avancer.
Lorsque ces récits sont inconciliables, la personne se retrouve coincée dans une tension constante. Par exemple, elle peut aspirer à se libérer d’une relation ancienne, mais se sentir encore définie par ce qu’elle a été dans cette relation. Ou bien elle veut se voir comme autonome et forte, mais continue de porter un récit de dépendance ou d’échec qui la disqualifie intérieurement.
Ce décalage crée une identité éclatée, où chaque version de soi entre en conflit avec les autres.
4.5 — Impact psychique : quand le récit devient symptôme
Lorsque le récit intérieur est trop fragmenté, confus, ou chargé de violence non symbolisée, cela peut produire des effets concrets sur la santé mentale :
Rumination mentale : tentative de réécrire l’histoire, sans fin ni sortie possible ;
Dissociation : détachement émotionnel, comme si le récit ne concernait plus vraiment la personne ;
Sentiment de perte d’identité : difficulté à se dire « je » de manière unifiée ;
Évitement : refus de certains lieux, visages, objets, qui réactivent une mémoire incohérente.
Il ne s’agit pas là de pathologies en soi, mais de signaux montrant que le récit a besoin d’être restauré, mis en cohérence, réhabité.
Le chapitre suivant abordera les chemins possibles de restauration de cette cohérence, à travers des outils, des processus et des postures qui permettent de restituer à la personne l’unité et la continuité de son histoire.
Chapitre 5 — Restaurer une cohérence : processus et outils
Quand la cohérence narrative a été mise à mal — par une rupture, un trauma, une dissonance prolongée ou une confusion identitaire — il est possible de reconstruire le récit de soi, non pas pour nier ce qui a été vécu, mais pour l’intégrer dans une forme supportable, signifiante, et mobilisatrice.
Ce processus de restauration ne consiste pas à enjoliver ou à réécrire l’histoire comme on referait un scénario idéalisé. Il s’agit plutôt de retrouver une continuité, de relier les fragments, et parfois même de créer du sens là où il n’y en avait pas.
5.1 — Du chaos au sens : les étapes de la reconstruction
Plusieurs étapes jalonnent le parcours de restauration narrative. Elles ne sont pas linéaires, ni toujours conscientes, mais on peut en distinguer quelques grandes dynamiques récurrentes :
a) La reconnaissance de la rupture
Accepter qu’un point de bascule a eu lieu. Ne pas le minimiser. Ne pas l’escamoter. C’est reconnaître : « Mon récit ne tient plus comme avant. Quelque chose a fissuré ma continuité. »
b) La mise en mots de l’informulable
Trouver les mots pour ce qui n’en avait pas. Même maladroits, même imprécis. Dire, écrire, évoquer… pour transformer le silence en langage, l’émotion brute en sens partagé.
Exemple : commencer par des phrases comme « Ce que je ne comprends toujours pas, c’est… » ou « Je crois que ce moment a tout changé, mais je n’arrive pas à dire pourquoi… »
c) La reconnexion avec les valeurs profondes
Revenir à ce qui donne sens : ce qui est important, ce qui a toujours guidé, même de façon inconsciente. Cela permet de redonner une ligne directrice au récit.
Exemple : une personne qui a toujours cherché à protéger les autres pourra relire son propre effondrement non pas comme une faiblesse, mais comme l’épuisement d’un cœur loyal.
d) L’actualisation du récit
Accepter que le nouveau récit ne soit pas identique à l’ancien. Qu’il inclue des paradoxes, des deuils, des cicatrices. Et que ce récit soit suffisamment habitable pour que le sujet puisse continuer à se projeter.
5.2 — Les ressources internes et externes
Le travail de cohérence narrative s’appuie sur des ressources multiples, qui se combinent souvent entre elles.
Ressources internes :
Le langage intérieur, la pensée symbolique
L’intuition, la mémoire émotionnelle
L’imagination et la créativité
Le sentiment de valeur personnelle, même fragilisé
Ressources externes :
L’écoute empathique (par un thérapeute, un ami, un confident)
Les cadres narratifs (écriture, arts, témoignage)
Les temps rituels (rites de passage, commémoration, gestes symboliques)
Les récits inspirants d’autres personnes ayant traversé des expériences similaires
Aucune de ces ressources n’est magique. Mais leur combinaison crée un espace dans lequel une nouvelle narration peut naître.
5.3 — Rituels symboliques : le corps comme témoin
Certains récits ne peuvent pas être réparés par les mots seuls. Le langage a ses limites, et c’est alors le corps qui devient le relais du sens.
Des rituels personnels, même très simples, peuvent jouer un rôle de reliement là où le mental reste figé.
Exemples :
Jeter un objet lié à un épisode douloureux, non pour nier le passé, mais pour libérer une mémoire figée.
Planter un arbre ou allumer une bougie pour marquer un passage.
Écrire une lettre qu’on ne donnera jamais, puis la brûler, pour acter une clôture.
Ces gestes n’ont pas besoin d’être spectaculaires. Ce qui compte, c’est l’intention de clôture ou de transition qu’ils portent.
5.4 — Illustrations de reconstructions réussies
Cas 1 — Une réorientation de vie après épuisement professionnel
Une personne ayant vécu un burn-out sévère retrouve peu à peu un fil de sens en relisant son effondrement comme un signal vital. Son récit se transforme : « Ce n’était pas un échec, c’était un cri de mon corps pour que je me recentre. »
Cas 2 — Une rupture identitaire suite à un changement familial
Une femme ayant grandi dans une famille très normative découvre à l’âge adulte qu’elle ne partage pas les valeurs qui l’ont entourée. D’abord en conflit, elle réécrit progressivement son récit en reconnaissant que sa différence est une fidélité à elle-même, pas une trahison familiale.
Cas 3 — Reconstruction post-traumatique
Après une agression, un homme reste plusieurs années incapable d’en parler. Grâce à un accompagnement et à des gestes d’écriture symbolique, il parvient à reformuler son histoire : « Ce que j’ai subi ne me définit pas, mais j’ai le droit d’en faire une part de mon récit. »
La cohérence narrative, une fois restaurée, ne garantit pas l’absence de douleur. Mais elle redonne à la personne une maîtrise symbolique de ce qu’elle vit. Elle permet de dire « je » de nouveau, sans que ce « je » soit piégé dans une boucle de fragmentation ou de répétition.
Le chapitre suivant explorera le rôle du regard de l’autre et les dynamiques collectives qui influencent la construction du récit de soi.
Chapitre 6 — Cohérence narrative et altérité
Aucun récit de soi ne se construit dans un vide.
Même lorsqu’il s’élabore dans la solitude, il est traversé par les mots des autres, leurs regards, leurs jugements, leurs silences. La cohérence narrative est donc fondamentalement dialogique : elle dépend autant de la manière dont on se perçoit que de la manière dont on a été perçu, nommé, raconté.
Ce chapitre explore cette tension entre le récit personnel et les récits imposés, collectifs ou externes, et la manière dont l’altérité peut à la fois nourrir ou entraver la construction d’un moi cohérent.
6.1 — Le regard de l’autre comme miroir identitaire
Dès l’enfance, l’identité narrative se forme à travers le regard et les paroles d’autrui :
« Tu es un enfant calme »,
« Tu fais toujours les choses bien »,
« Tu es trop sensible »,
« Tu ne fais jamais assez. »
Ces phrases, banales en apparence, deviennent des matériaux fondateurs du récit intérieur. Elles sont intériorisées comme des vérités, et influencent durablement la manière dont une personne se raconte, se juge, se limite ou se valorise.
Exemple : une personne que l’on a toujours décrite comme “forte” peut, en cas de chute ou de fragilité, ressentir une dissonance intense : « Je ne reconnais plus ce que je suis censé être. »
Le regard de l’autre agit comme un miroir sélectif : il reflète certains traits, en oublie d’autres, et parfois déforme la perception de soi-même.
6.2 — Les récits concurrents : tension, conflit, éclatement
Il arrive qu’une personne doive composer avec plusieurs récits qui ne s’accordent pas entre eux :
Celui que la famille transmet ;
Celui que la société valorise ;
Celui qu’elle ressent profondément ;
Celui qu’un événement a brusquement révélé.
Lorsque ces récits sont inconciliables, le sujet peut ressentir une forte tension identitaire.
Exemple : un individu issu d’un environnement valorisant la réussite matérielle choisit une voie modeste, tournée vers le soin ou l’art. Il peut alors se trouver déchiré entre le récit de fidélité à soi-même et le récit d’échec perçu par les siens.
La cohérence narrative est alors mise à rude épreuve. Il ne s’agit plus seulement de comprendre son histoire, mais de résister à certaines versions de cette histoire que d’autres tentent d’imposer.
6.3 — Se libérer des récits aliénants
Certains récits extérieurs peuvent devenir oppressants : ils figent l’identité, enferment dans une case, ou empêchent l’évolution. On les retrouve dans des contextes familiaux, sociaux, professionnels, culturels, voire thérapeutiques.
« Tu es comme ton père. »
« Tu es le pilier, tu n’as pas le droit de flancher. »
« Tu as toujours été instable. »
« Tu es le survivant, tu dois donner un sens à ta vie. »
Ces récits peuvent être bien intentionnés ou franchement destructeurs. Mais dans tous les cas, ils deviennent aliénants quand ils ne laissent plus de place à une redéfinition du moi.
La restauration de la cohérence narrative passe alors par la désidentification à ces récits :
Dire « Ce n’est pas parce qu’on m’a vu comme cela que je le suis encore » ;
Autoriser la discontinuité, le changement, la redéfinition.
Cela ne se fait pas toujours par opposition frontale. Parfois, il suffit de retrouver une voix propre, une façon singulière de dire « je », en dehors de ce qui a été dicté.
6.4 — Le récit partagé : miroir amplificateur ou espace de régulation
Le récit n’est pas qu’un acte intérieur. Il devient souvent plus clair, plus supportable ou plus riche lorsqu’il est partagé dans un cadre bienveillant. Ce partage peut se faire :
dans la thérapie,
dans l’amitié sincère,
dans un groupe de parole,
à travers des œuvres artistiques.
Quand le récit est reçu sans jugement, il peut se stabiliser, s’étoffer, ou se transformer.
À l’inverse, s’il est accueilli avec indifférence, moquerie ou méfiance, il peut se replier, se rigidifier ou se dissoudre.
La cohérence narrative a besoin de témoins. Pas pour être validée. Mais pour être accueillie dans sa complexité.
6.5 — Réconcilier les récits
La maturité psychique peut se mesurer à la capacité de tenir ensemble plusieurs récits de soi sans se perdre. Reconnaître qu’on a été ceci à un moment donné, qu’on l’a cru, qu’on y a mis du sens… mais que l’on est aujourd’hui ailleurs.
Exemple : « Pendant des années, j’ai cru que ma valeur dépendait de ma performance. Ce récit m’a permis de tenir debout. Aujourd’hui, je comprends que je peux me définir autrement. »
Il ne s’agit pas de renier ce qui a été. Il s’agit de donner une place mouvante à chaque version de soi, sans que l’une prenne toute la lumière ni toute la charge.
Le chapitre suivant montrera comment la cohérence narrative peut être utilisée en accompagnement, en coaching, en éducation ou en intervention sociale — comme outil de connaissance de soi, de changement, et de reconfiguration du pouvoir d’agir.
Chapitre 7 — Applications concrètes : coaching, éducation, accompagnement
Le concept de cohérence narrative ne concerne pas uniquement les champs de la thérapie ou de la philosophie du soi. Il constitue également un levier puissant dans les pratiques d’accompagnement, qu’elles soient éducatives, sociales, professionnelles ou existentielles.
Que ce soit en coaching, en enseignement ou dans le soin relationnel, aider une personne à retrouver un fil narratif clair, souple et porteur permet non seulement d’éclairer son parcours, mais aussi de renforcer sa capacité à agir, à décider, à se projeter.
7.1 — Clarifier la trajectoire personnelle
Dans de nombreux accompagnements, les personnes arrivent avec des morceaux d’histoire éparpillés, des décisions en suspens, ou des sentiments confus. Les récits sont souvent flous, contredits, ou imprégnés de croyances limitantes.
Le premier rôle du professionnel est alors d’offrir un cadre sécurisant et structurant pour aider à reconstituer une trame :
Quelles sont les étapes significatives ?
Quels sont les tournants, les échecs, les choix clés ?
Qu’est-ce qui a été gardé sous silence ?
Quelle valeur traverse le parcours, même de manière invisible ?
Exemple : un jeune adulte en perte de motivation scolaire peut redécouvrir un fil de cohérence dans ses intérêts précoces, ses actes de solidarité passés, ou une quête de sens masquée par le désengagement.
7.2 — Reformuler les croyances en récits ouverts
Les croyances limitantes sont souvent des fragments de récits figés, répétés sans remise en question :
« Je suis trop dispersé. »
« Je n’ai pas de volonté. »
« Je n’ai jamais été bon dans ce domaine. »
En contexte de coaching ou d’accompagnement, le rôle n’est pas de nier ces affirmations, mais de les resituer dans un récit plus vaste. On peut ainsi passer :
d’un jugement définitif à une hypothèse contextuelle ;
d’un récit figé à un récit évolutif.
Exemple : « Tu dis que tu es dispersé. Peux-tu me raconter un moment où cette dispersion a été une ressource ou une richesse ? »
Ce type de reformulation permet d’ouvrir le champ des possibles, en rendant à la personne la maîtrise symbolique de son histoire.
7.3 — Accompagner les transitions et les bifurcations
Les moments de transition (reconversion, fin de cycle, deuil, changement de posture…) sont des espaces de vulnérabilité narrative.
L’ancien récit ne tient plus, le nouveau n’est pas encore écrit.
Exemple : une enseignante quittant l’éducation nationale après vingt ans de carrière peut se sentir « vide de rôle ». L’accompagnement narratif permet alors de relire sa trajectoire non comme une fin, mais comme une métamorphose cohérente : transmettre, accompagner, éveiller… sous une autre forme.
Les outils de narration permettent ici de :
nommer ce qui se termine ;
poser les acquis transférables ;
identifier les valeurs persistantes ;
imaginer un récit possible, même encore flou.
7.4 — Outils narratifs mobilisables
Plusieurs outils simples, mais puissants, peuvent être intégrés dans des dispositifs d’accompagnement pour aider à structurer, élargir ou restaurer le récit de soi :
a) La ligne de vie
Une frise chronologique subjective, qui permet d’identifier les hauts, les bas, les ruptures et les points d’appui. Elle peut être enrichie de mots-clés, de symboles, ou de couleurs.
b) La carte des fractures
Un outil qui fait émerger les discontinuités narratives, les non-dits, les contradictions internes. Chaque « faille » devient un lieu potentiel de relecture et de sens.
c) Le journal d’identité
Un carnet dédié non pas aux faits du quotidien, mais à l’exploration du “je” : valeurs, dilemmes, désirs profonds, souvenirs déclencheurs. Il permet une prise de conscience progressive du tissu narratif qui relie l’expérience.
d) Le récit prospectif
Une invitation à écrire un passage de vie comme s’il était déjà vécu dans l’avenir (dans 1 an, 5 ans…), en identifiant ce que la personne souhaite pouvoir dire d’elle-même à ce moment-là.
Exemple : « En 2030, je suis quelqu’un qui… »
Ces outils ne sont pas des méthodes figées. Leur valeur réside dans la manière dont ils sont proposés, écoutés, et réappropriés par la personne accompagnée.
7.5 — Posture de l’accompagnant
Enfin, plus que les outils, c’est la posture qui permet une véritable reconstruction narrative :
Non-directivité : laisser la personne raconter, même de manière chaotique, sans chercher à corriger trop vite.
Réflexivité : proposer des miroirs, des recadrages, des échos, mais toujours avec prudence.
Écoute du sens latent : entendre ce qui se joue derrière les mots, les ruptures, les répétitions.
Cohérence personnelle : l’accompagnant ne peut soutenir la cohérence narrative de l’autre que s’il est lui-même en accord avec son propre récit ou en cheminement sincère.
Accompagner quelqu’un, c’est honorer son récit autant que son devenir. C’est l’aider à redevenir auteur, non d’une fiction, mais d’une histoire vivable et assumée.
Conclusion — La cohérence narrative comme liberté retrouvée
Raconter sa vie n’est pas une opération anodine. C’est une manière de tisser du sens, de résister à la dispersion, de garder en soi une forme de présence à ce que l’on a traversé. C’est dire : « Ce que j’ai vécu ne m’échappe pas totalement. J’en fais quelque chose. »
Mais il ne s’agit pas d’écrire un récit parfait.
Un récit parfait est un récit figé, contrôlé, parfois mensonger.
La cohérence narrative n’exige ni linéarité, ni héroïsme, ni unité factice.
Elle demande simplement de pouvoir se tenir debout à l’intérieur de ce qu’on raconte de soi, même si c’est encore en chantier.
Une histoire habitée plutôt qu’une histoire idéale
Certaines personnes ont un récit de vie difficile, cabossé, hétérogène. D’autres ont vécu dans une logique répétitive, ou ont subi de longues périodes d’effacement.
Toutes, pourtant, peuvent retrouver une forme de continuité, non pas dans les faits, mais dans la manière de les relier.
Ce qui compte, ce n’est pas que l’histoire soit glorieuse.
Ce qui compte, c’est qu’elle soit habitable.
Qu’elle ne soit plus une prison, mais un espace où le « je » peut respirer.
Quand l’histoire ne nous enferme plus, mais nous relie
La cohérence narrative ne consiste pas à s’accrocher à un passé, ni à s’inventer un avenir idéalisé. Elle est cet espace intermédiaire où le sujet accepte ce qui a été, tout en continuant d’inventer ce qui vient.
Elle permet de dire :
« J’ai été cela. Cela m’a transformé. Mais je continue. Je peux encore me dire autrement. »
Elle rend possible une forme de réconciliation, non pas avec tous les événements, mais avec le fait d’avoir été traversé par eux. Et cela suffit parfois à rouvrir un avenir.
Pour conclure — écrire, réécrire, respirer
Le récit de soi est toujours une ébauche.
Il se modifie à chaque prise de conscience, à chaque nouvelle rencontre, à chaque silence compris différemment.
La cohérence narrative ne ferme rien. Elle autorise à continuer.
Elle offre un cadre souple, évolutif, ancré, où la personne ne cherche plus à être parfaite, mais à être pleinement vivante.
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