Le pouvoir des questions : comment ouvrir plutôt que diriger
- Roland Constantin
- 27 avr.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 avr.
Introduction : Une parole qui libère au lieu d’enfermer
Poser une question paraît simple.
Mais en coaching, en thérapie, en accompagnement, la manière de questionner détermine tout le cheminement.
Une question peut ouvrir un monde.
Une question peut enfermer dans une impasse.
Apprendre à ouvrir plutôt qu’à diriger, c’est apprendre l’art de questionner sans enfermer l’autre dans nos propres hypothèses, nos propres désirs ou notre propre logique.
C’est passer du pouvoir d’influencer au pouvoir de faire éclore.
1. Pourquoi les questions ont-elles tant de pouvoir ?
1.1. Les questions dirigent l’attention
Une question agit comme une lampe torche :
elle oriente la conscience vers une partie du réel plutôt qu’une autre.
Exemple concret :
• “Pourquoi avez-vous échoué ?” → oriente vers l’analyse de l’échec.
• “Qu’avez-vous appris de cette expérience ?” → oriente vers la croissance et l’intégration.
Référence utile :
• David Cooperrider, fondateur de l’Appreciative Inquiry, a montré que ce que nous interrogeons crée ce que nous trouvons (Appreciative Inquiry Handbook, 2003).
1.2. Les questions façonnent la perception de soi
La manière dont une personne répond à une question ne fait pas que révéler ce qu’elle pense.
Elle transforme sa propre compréhension d’elle-même.
Un coach, en posant une question sincère, respectueuse et ouverte, offre à l’autre une invitation à reformuler son récit intérieur.
Exemple concret :
• “Que pouvez-vous faire pour ne plus subir cette situation ?” → invite au pouvoir d’agir.
• “Qu’est-ce qui vous empêche d’avancer ?” → peut figer dans l’impuissance si mal posé.
2. Les deux types fondamentaux de questions
2.1. Les questions ouvertes
• Elles laissent l’autre libre de sa réponse.
• Elles favorisent la créativité, l’émergence, l’introspection.
Exemples de questions ouvertes :
• “Que ressentez-vous dans cette situation ?”
• “Quel serait le premier petit pas possible pour vous ?”
• “Comment sauriez-vous que vous avez avancé ?”
2.2. Les questions fermées
• Elles appellent une réponse brève, souvent “oui” ou “non”.
• Elles peuvent être utiles pour clarifier des faits, mais réduisent l’espace d’exploration.
Exemples de questions fermées :
• “Avez-vous déjà tenté cette solution ?”
• “Voulez-vous qu’on passe à l’étape suivante ?”
En coaching, les questions ouvertes sont privilégiées, car elles honorent la liberté intérieure de l’autre.
Référence :
• Whitmore, J. (1992). Coaching for Performance — La maîtrise des questions ouvertes est au cœur du processus de coaching efficace.
3. Comment éviter de diriger sous couvert de question ?
3.1. Repérer les questions suggestives
Une question suggestive contient déjà une hypothèse implicite.
Elle limite la liberté de l’autre.
Exemples de questions suggestives :
• “Ne pensez-vous pas qu’il serait mieux d’agir rapidement ?”
• “N’avez-vous jamais envisagé de changer de voie ?”
3.2. Privilégier la curiosité réelle
Plutôt que de chercher à obtenir une réponse qui valide nos idées,
posons des questions pour découvrir ce que nous ne savons pas encore.
Questions réellement ouvertes :
• “Qu’est-ce qui est vivant pour vous dans cette situation ?”
• “Quel serait un regard différent que vous pourriez porter sur ce que vous vivez ?”
3.3. Éviter les “questions conseils”
Derrière certaines questions se cache un conseil déguisé.
Exemple :
• “Ne pensez-vous pas qu’il serait mieux d’appeler votre manager pour clarifier la situation ?”
Une vraie question ouvre un chemin.
Elle ne pointe pas une direction imposée.
4. Les qualités d’une bonne question en accompagnement
4.1. L’intention pure
La bonne question n’est pas faite pour briller, contrôler ou obtenir.
Elle est posée au service de l’autre.
4.2. La simplicité
Les questions les plus puissantes sont souvent les plus simples.
Exemples :
• “Qu’est-ce qui compte vraiment pour vous ici ?”
• “De quoi avez-vous besoin pour avancer ?”
4.3. L’ouverture au silence
Après une vraie question, le coach accepte… de ne pas combler.
Le silence est fécond.
Il permet à l’autre d’entrer dans son propre espace intérieur.
Référence utile :
• Nancy Kline, Time to Think (1999), insiste sur l’importance de laisser l’espace du silence après une question sincère pour faire émerger la pensée nouvelle.
5. Entraîner son art du questionnement
5.1. Se mettre dans une posture d’apprenti
Poser de bonnes questions, ce n’est pas être plus intelligent que l’autre.
C’est se placer dans l’état d’esprit de l’apprenti permanent, curieux, humble.
5.2. S’entraîner à reformuler sans interpréter
Quand un client parle,
• Reformuler en ses propres mots,
• Sans ajouter de suppositions ou de conseils implicites.
5.3. S’exercer à entendre ce qui n’est pas encore dit
Une bonne question ne rebondit pas seulement sur ce qui est exprimé.
Elle peut inviter à explorer ce qui est latent, non formulé, fragile.
Situation :
Un client explique en séance qu’il veut demander une augmentation à son supérieur.
Il décrit la situation de manière très rationnelle :
• Il parle de ses résultats,
• De son ancienneté,
• De l’inflation, etc.
Mais dans sa posture corporelle, dans sa voix, il y a de l’hésitation, de la tension, presque une retenue.
Le coach attentif perçoit que quelque chose d’essentiel n’est pas exprimé dans les mots.
Il sent une part de peur ou de doute qui n’est pas formulée.
Au lieu de poser une question directe sur la stratégie (“Comment comptes-tu t’y prendre pour argumenter ?”),
le coach ouvre un espace plus subtil, en posant une question qui va chercher l’implicite :
“En parlant de cette demande, qu’est-ce qui se passe en toi que tes mots ne disent pas encore ?”
Pourquoi cette question est puissante ?
• Elle ne suppose pas ce que l’autre ressent.
• Elle invite l’autre à se connecter à son vécu intérieur au lieu de rester sur un plan logique.
• Elle autorise la vulnérabilité sans l’imposer.
Suite de l’exemple :
Le client, touché par cette question, s’arrête. Il se reconnecte à son ressenti.
Après quelques instants de silence, il dit :
“J’ai peur d’être perçu comme ingrat… de perdre la reconnaissance que j’ai aujourd’hui.”
Grâce à cette prise de conscience, le véritable enjeu apparaît :
Ce n’est pas juste “demander une augmentation” (objectif rationnel),
c’est oser poser une demande sans peur de perdre le lien affectif avec son manager.
Et c’est sur ce plan émotionnel-là que le travail d’accompagnement va pouvoir vraiment s’engager.
En synthèse :
Poser une question sur ce qui n’est pas encore dit, c’est :
• Ne pas se contenter de ce qui est exprimé de manière rationnelle,
• Ouvrir un espace pour que le client explore ses ressentis, ses peurs, ses aspirations profondes,
• Faire confiance au processus vivant, au-delà des apparences.
6. Ce que j’en retiens profondément
Questionner, ce n’est pas diriger l’autre.
C’est l’aider à se diriger lui-même vers son propre savoir, son propre chemin.
La vraie question n’enferme pas.
Elle ouvre.
La vraie question ne prend pas la main.
Elle tend la main.
Et dans cet espace ouvert,
naît la possibilité d’une transformation authentique.
Références pour approfondir
• Whitmore, J. (1992). Coaching for Performance.
• Kline, N. (1999). Time to Think: Listening to Ignite the Human Mind.
• Cooperrider, D., & Srivastva, S. (1987). Appreciative Inquiry in Organizational Life.
• Rosenberg, M. (1999). Nonviolent Communication: A Language of Life (qualité des questions dans l’écoute empathique).
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