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LE JEU DES 3 MONDES


Clarifier une situation complexe en cartographiant les zones de pouvoir, de contrainte et de régulation

 

I. Origine et inspiration théorique

Le “Jeu des 3 mondes” est une modélisation systémique inspirée de la pratique des thérapies brèves, du coaching stratégique et de la pensée interactionnelle. Il ne provient pas d’un outil breveté ou psychométré, mais plutôt d’un principe d’analyse transposable, qui peut être mobilisé dans différents cadres (coaching individuel, accompagnement d’équipe, supervision).

 

Ce modèle s’appuie sur :

  • Les travaux de l’école de Palo Alto (Watzlawick, Fisch, Weakland) : regard interactionnel, recherche des tentatives de solution qui alimentent le problème.

  • Le modèle des positions perceptuelles en PNL (moi / l’autre / observateur), mais reformulé en termes de systèmes et de contraintes.

  • La systémique de deuxième ordre : toute personne est à la fois acteur et système.

  • Des apports issus de la pensée stratégique (Ch. Faure, J. Constantin) : notamment l’analyse des zones de pouvoir, de choix et de contrainte.

 

II. Objectif de l’outil

Le Jeu des 3 mondes sert à :

  • Déplier une situation complexe vécue par un coaché (relationnelle, professionnelle, identitaire…).

  • Identifier ce qui dépend de lui, ce qui relève des autres, et ce qui échappe à tous.

  • Créer une lecture lucide et apaisée, pour retrouver une posture de pouvoir d’agir sans illusion de contrôle.

  • Travailler les mécanismes de projection, de fusion, de rejet ou de sur-responsabilisation.

 

III. Description du modèle

Le modèle distingue trois « mondes » dans toute situation vécue :

 

1. MON MONDE

Ce que je pense, ressens, choisis, fais, décide, autorise ou refuse.

Zone d’autorité et de régulation personnelle.

  • Mes pensées, émotions, besoins

  • Mes valeurs, mes limites

  • Mes actes, mes choix

  • Mon rythme, mes priorités

 

En coaching :

→ C’est là que réside le pouvoir d’agir réel.

→ Travailler à se réapproprier cette zone, à la clarifier, à y poser des actes.

 

2. LE MONDE DE L’AUTRE

Ce que l’autre pense, ressent, croit, projette, espère ou craint.

Zone d’illusion fréquente, souvent investie à tort.

  • Les réactions de l’autre

  • Son rythme, ses non-dits

  • Ses attentes, ses refus

  • Son système de représentations

 

En coaching :

→ Aide à distinguer influence et contrôle.

→ Permet de se désengager des projections, d’éviter la co-dépendance ou le sur-contrôle.

→ Travailler la communication claire, la responsabilisation de la relation.

 

3. LE MONDE DES CHOSES / DU MONDE / DU SYSTÈME

Ce qui dépend ni de moi, ni de l’autre : le système, le cadre, les faits, le réel brut.

Zone des contraintes objectives, du contexte, du temps, de l’aléa.

  • Règlement, loi, climat, temporalité

  • Culture d’entreprise, structure, hiérarchie

  • Maladie, distance, passé, ressources

  • Réalité du marché, des horaires, du corps

 

 

En coaching :

→ Vise à nommer les données non négociables.

→ Permet d’accepter sans résignation, de trouver une voie d’ajustement lucide.

→ Soutient le lâcher-prise éclairé, non comme fuite mais comme position d’humilité active.

 

IV. Méthodologie de mise en œuvre en coaching

1. Recueil de la situation problématique

Demander :

  • « Qu’est-ce qui vous préoccupe actuellement ? »

  • « Dans quelle situation sentez-vous que ça coince ? »

 

2. Questionnement structurant

  • « Qu’est-ce qui relève vraiment de vous, de vos choix ? »

  • « Qu’est-ce qui, dans ce que vous vivez, appartient à l’autre ? »

  • « Qu’est-ce qui ne dépend ni de vous, ni de lui / elle ? »

 

3. Utilisation d’un support visuel (tableau ou trois cercles)

Proposer une feuille avec trois zones :

  • Moi

  • L’Autre

  • Le Monde / Le Cadre

Inviter la personne à y placer les éléments de sa problématique, à main levée ou avec des post-it.

 

4. Analyse croisée

  • Ce que je crois être “de moi” et qui est en fait dans le monde de l’autre ?

  • Ce que je m’attribue à tort ? Ce que j’ai laissé sortir de mon monde ?

 

5. Reprise du pouvoir et ajustements

  • Quelles actions concrètes dans mon monde ?

  • Quelles communications clarifiantes avec l’autre ?

  • Quels renoncements éclairés dans le monde des choses ?

 

V. Applications concrètes en coaching

A. Coaching relationnel

  • Conflits familiaux, hiérarchiques, affectifs

  • Problèmes d’attentes implicites, de dépendance émotionnelle, de besoin de reconnaissance

B. Coaching de décision

  • Quand une personne est coincée dans une boucle d’indécision ou de sur-responsabilisation

  • Permet de hiérarchiser les éléments maîtrisables, et de dégager une stratégie lucide

C. Coaching existentiel

  • Crises identitaires, transitions de vie

  • Clarification des zones d’impuissance vs zones d’engagement

D. Coaching en contexte institutionnel

  • Lorsque le système (école, entreprise, administration) semble “immuable”

  • Travailler la posture intérieure face à l’irréformable

  • Aide précieuse à la désidentification du système

 

VI. Références théoriques et inspirations complémentaires

  • Paul Watzlawick et l’École de Palo Alto


    Changerez-vous de solution ? (1974) – sur les cercles de rétroaction et les tentatives de solution inopérantes

  • Jean-Jacques Wittezaele, Teresa Garcia-Rivera – L’homme relationnel (1992)

  • Jacques Constantin – Coaching stratégique (2007)

  • Edgar Morin – sur la complexité systémique, les boucles et l’émergence

  • Marshall Rosenberg – pour la distinction entre besoin / demande / injonction

  • Albert Bandura – Self-Efficacy: The Exercise of Control (1997)

  • Yvan Amar, Alexandre Jollien – sur la notion de détachement actif

 

 

 

A. APPROFONDISSEMENT CONCEPTUEL – LE JEU DES 3 MONDES

A.1. Logique systémique des trois mondes : des zones poreuses

Contrairement à ce qu’un schéma pourrait laisser croire, les trois mondes ne sont pas étanches. Ils sont :

  • interdépendants (chaque monde agit sur les deux autres),

  • fréquemment confondus (lorsque la régulation émotionnelle est altérée),

  • hiérarchisés inconsciemment (certains individus sacralisent un monde au détriment des autres).

  •  

Interactions dynamiques typiques :

Monde d’origine

Glissement vers…

Conséquence fréquente

Moi → Autre

Projection

« Il pense que… » « Elle me juge… »

Moi → Monde

Sentiment d’impuissance

« C’est comme ça, je ne peux rien y faire »

Autre → Moi

Intériorisation / fusion

« Je suis responsable de ce qu’il vit »

Monde → Moi

Fatalisme intériorisé

« Je suis nul parce que c’est dur »

Autre → Monde

Disqualification systémique

« L’autre ne changera jamais »

Monde → Autre

Bouc émissaire

« C’est à cause d’eux si ça ne marche pas »

 

 

 

 

A.2. Trois types de confusion systémique à connaître

 

1. Le monde fusionné (effondrement des frontières)

Tout est confondu : mon ressenti est attribué à l’autre, ses réactions sont vécues comme des jugements, le monde est vécu comme un miroir de ma valeur.

Conséquences :

  • hypersensibilité aux réactions extérieures,

  • épuisement émotionnel,

  • difficulté à poser des actes autonomes.

 

2. Le monde inversé (désengagement actif)

L’autre ou le système sont perçus comme devant changer pour que je me sente mieux.

Conséquences :

  • attente passive de reconnaissance,

  • plainte chronique,

  • incapacité à prendre des décisions structurantes.

 

3. Le monde sacralisé (tout-puissance de l’environnement)

Le monde est vu comme intouchable : l’institution, le passé, le contexte ont plus de pouvoir que le sujet.

Conséquences :

  • soumission, résignation,

  • sentiment d’injustice sans issue,

  • paralysie intérieure malgré les capacités.

 

A.3. Lien avec les niveaux logiques de Dilts

Monde

Niveau logique principal associé

Moi

Capacités, comportements, croyances

L’Autre

Identité de l’autre, interactions, relation

Le Monde

Environnement, contraintes, temporalité

Le Jeu des 3 mondes peut être mis en relation avec les niveaux logiques du changement (Robert Dilts, 1990) :

Intérêt :

→ Permet d’élargir l’intervention : un blocage dans « mon monde » peut être renforcé par une croyance de niveau supérieur ou un environnement de niveau inférieur.

→ Donne des clés d’intervention multi-niveaux.

 

A.4. Le Jeu des 3 mondes comme outil de clarification de la posture

Dans une situation de tension, un coaché peut :

  • agresser → agit dans le monde de l’autre (violence relationnelle),

  • sacrifier → nie son monde au profit de l’autre ou du système,

  • fuir → sort de tous les mondes, se coupe du réel (repli ou dissociation),

  • contourner → tente d’agir sur le monde plutôt que sur soi (activisme stérile),

  • se positionner → recentre son action dans son monde, en ajustant sa présence aux deux autres.

 

A.5. Grille de lecture archétypale : postures dominantes et récits associés

Archétype

Monde dominant

Posture intérieure

Récit-type

Le sauveur

Le monde de l’autre

Sur-responsabilisation

« Sans moi, ils n’y arriveront pas »

Le martyr

Le monde du système

Désappropriation de soi

« Je n’ai pas le choix, je dois supporter »

Le rebelle

Contre tous les mondes

Refus, résistance rigide

« Personne ne me comprendra jamais »

Le stratège lucide

Son propre monde

Responsabilité différenciée

« Je sais ce qui dépend de moi, j’agis là »

 





 

B. DÉCLINAISONS PRATIQUES DU JEU DES 3 MONDES

 

B.1. Fiche outil « clé en main » (utilisable dès maintenant)

Objectif de l’outil :

Permettre au coaché de clarifier une situation vécue comme floue, douloureuse ou bloquante, en distinguant ce qui relève de lui, de l’autre, et du système.

 

Présentation à donner au coaché :

« Dans toute situation difficile, nous avons souvent tendance à tout confondre : nos ressentis, les attentes des autres, les contraintes du contexte. Cet outil va t’aider à reprendre de la clarté, et à retrouver du pouvoir d’agir là où c’est possible. On va poser ensemble les éléments dans trois “mondes” différents. »

 

Le schéma de base : Trois colonnes ou trois cercles




 

MON MONDE

LE MONDE DE L’AUTRE

LE MONDE DES CHOSES / DU SYSTÈME

Ce que je pense, ressens, fais

Ce que l’autre veut, croit, fait

Ce qui est là, les faits, le cadre

Ce que je choisis

Ce que je ne peux pas décider pour lui

Ce que ni lui ni moi ne pouvons changer

Ce qui m’appartient

Ce qui lui appartient

Ce qui est donné, objectif

 

 

Versions visuelles alternatives :

 

  • Trois cercles imbriqués (type Venn)

  • Trois boîtes sur tableau blanc ou logiciel de visio

  • Trois zones sur un paperboard, chacune avec une couleur

 

B.2. Questions-guides pour chaque monde

1. Mon monde

  • Qu’est-ce que je ressens ?

  • Qu’est-ce que je peux choisir ici ?

  • Qu’est-ce qui dépend réellement de moi ?

  • Qu’est-ce que j’ai envie d’assumer ou de poser comme limite ?

  • Qu’est-ce que je peux faire, même si le reste ne bouge pas ?

 

2. Le monde de l’autre

  • Qu’est-ce que je suppose qu’il / elle pense ?

  • Est-ce un fait ou une interprétation ?

  • Est-ce que je crois devoir porter quelque chose à sa place ?

  • Qu’ai-je besoin de clarifier ou de redonner à l’autre ?

 

3. Le monde du système / du réel

  • Qu’est-ce qui ne dépend ni de moi ni de l’autre ?

  • Quelle est la réalité du cadre, du temps, du contexte ?

  • Quelles sont les données brutes que je dois intégrer ?

  • Ai-je besoin de lâcher quelque chose ici pour ne pas me battre contre l’inchangeable ?

 

B.3. Variantes utilisables en séance

1. Variante narrative (déroulé en récit)

« Raconte-moi la scène, et je t’arrête à chaque fois qu’on entre dans un monde. »

→ Permet une écoute active et une co-construction de clarté à chaud.

 

2. Variante temporelle

« Et si on faisait cet exercice trois fois : comme c’était hier, comme c’est aujourd’hui, et comme tu aimerais que ce soit dans six mois ? »

→ Aide puissante à la projection constructive et à la vision régulée.

 

3. Variante symbolique

« Dessine-moi une carte de ces trois mondes : qui occupe quelle place ? Quelle taille prend chaque monde ? Lequel t’envahit ? Lequel est déserté ? »

→ Très utilisée en coaching de régulation émotionnelle ou de surcharge mentale.

 

B.4. Intégration dans un processus de coaching structuré

Voici un exemple de séquence possible sur 2 à 3 séances :

 

Séance 1 : Clarification

  • Poser le schéma des 3 mondes

  • Identifier les glissements ou confusions

  • Amener une première prise de recul et une régulation émotionnelle

 

Séance 2 : Reprise du pouvoir d’agir

  • Identifier ce qui doit être repris dans “mon monde”

  • Élaborer des scénarios d’action ou de repositionnement

  • Préparer une communication claire vers “l’autre monde”

 

Séance 3 : Ajustements et réalignement

  • Bilan de ce qui a bougé

  • Relecture du schéma à la lumière des changements

  • Poser les ancrages, les apprentissages et les nouveaux équilibres

 

C. ÉTUDES DE CAS PRATIQUES ILLUSTRÉES

Cas 1 : Marie, cadre en surcharge émotionnelle – Coaching de régulation relationnelle

Contexte :

Marie, 42 ans, cadre RH, ressent une charge mentale insupportable, liée à un conflit persistant avec son supérieur hiérarchique. Elle se dit « responsable de la cohésion de l’équipe », se sent constamment « en train de compenser », et culpabilise dès qu’elle pose une limite.

 

Problème exprimé :

« Si je ne suis pas là pour maintenir l’ambiance et soutenir les collègues, tout va s’effondrer. »

Utilisation du Jeu des 3 mondes :

Mon monde

Monde de l’autre

Monde des choses

Je ressens une fatigue extrême

Mon chef est injuste et refuse de reconnaître mes efforts

L’organisation est en restructuration

Je n’arrive pas à dire non sans culpabiliser

Mes collègues attendent toujours de moi du soutien

Les règles de reporting ont été durcies

 

Analyse :

  • Confusion des mondes : Marie porte la charge émotionnelle du collectif comme si elle en était responsable. Elle agit dans le monde de l’autre (attentes, perceptions, besoins) en s’oubliant.

  • Glissement : sur-responsabilisation → désappropriation de ses besoins → effondrement progressif

 

Ajustements en coaching :

  • Travail sur les limites saines : « Où est ton espace à toi ? »

  • Élaboration d’un scénario de communication claire : redonner la responsabilité à l’autre

  • Recentrage sur ce qu’elle peut faire à son échelle sans porter l’ensemble du système

 

Cas 2 : Théo, enseignant en perte de sens – Coaching existentiel

Contexte :

Théo, 38 ans, enseignant en lycée, passionné, impliqué… mais épuisé. Il ressent un profond désalignement entre ce qu’il veut transmettre et le fonctionnement de l’institution. Il songe à une reconversion, mais se sent « bloqué, impuissant, coupable ».

 

Problème exprimé :

« L’Éducation nationale ne changera jamais. Je me perds à essayer de m’y adapter, mais je ne sais plus comment faire autrement. »

Utilisation du Jeu des 3 mondes :

Mon monde

Monde de l’autre

Monde des choses

Je ressens une fatigue extrême

Mon chef est injuste et refuse de reconnaître mes efforts

L’organisation est en restructuration

Je n’arrive pas à dire non sans culpabiliser

Mes collègues attendent toujours de moi du soutien

Les règles de reporting ont été durcies

J’ai besoin de temps pour me retrouver

Il me voit comme la « gentille » qui encaisse toujours

Il y a une surcharge de travail objective

 

Analyse :

  • Confusion des mondes : Marie porte la charge émotionnelle du collectif comme si elle en était responsable. Elle agit dans le monde de l’autre (attentes, perceptions, besoins) en s’oubliant.

  • Glissement : sur-responsabilisation → désappropriation de ses besoins → effondrement progressif

 

Ajustements en coaching :

  • Travail sur les limites saines : « Où est ton espace à toi ? »

  • Élaboration d’un scénario de communication claire : redonner la responsabilité à l’autre

  • Recentrage sur ce qu’elle peut faire à son échelle sans porter l’ensemble du système

 

Cas 3 : Aïcha, consultante en quête de clarté stratégique – Coaching de positionnement

Contexte :

Aïcha, 46 ans, indépendante depuis 6 ans, développe des offres de formation sur la posture managériale. Elle hésite à s’associer avec un cabinet plus gros, mais elle sent que ses valeurs sont parfois à l’écart. Elle est tiraillée entre besoin de sécurité et loyauté envers sa singularité.

 

Problème exprimé :

« Ils me proposent une belle visibilité, mais je sens que je vais devoir rentrer dans une case qui n’est pas la mienne. »

 

Utilisation du Jeu des 3 mondes :

Mon monde

Monde de l’autre

Monde du marché / cadre

J’ai un besoin d’indépendance et de cohérence

Le cabinet veut que je porte leur discours

Le marché exige des offres lisibles et formatées

Je crains de perdre ma liberté créative

Leur style de management est plus directif

Les appels d’offre privilégient les grands noms

Je veux pouvoir dire non à certaines missions

Ils pensent que je suis “trop dans l’introspection”

La logique d’échelle est valorisée aujourd’hui

 

Analyse :

  • Conflit entre mon monde et celui du système : sécurité contre alignement

  • Surinvestissement du regard de l’autre : elle prend leurs attentes comme des normes, au lieu de négocier à partir de sa valeur

 

Ajustements en coaching :

  • Aider Aïcha à poser ses conditions de collaboration (co-construction, non-exclusivité…)

  • Valider qu’elle a le droit de négocier sans se plier

  • L’aider à formuler un “oui clair ou un non entier”, en s’appuyant sur sa vision

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