journal de transitions
- Roland Constantin
- il y a 6 jours
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Dernière mise à jour : il y a 9 heures
Chapitre 1 – Introduction générale : pourquoi un journal de transitions?
1.1. Un monde en mouvement, des repères en déplacement Nous vivons à une époque où le changement est devenu permanent. Changements de vie, de fonction, de repères culturels, de valeurs, de rythme : les transitions ne sont plus exceptionnelles, elles sont structurelles.
Mais si le changement est extérieur, la transition est intérieure. Et elle mérite du temps, de l’attention, de la conscience.
Là où le changement est une modification de situation, la transition est un mouvement d’identité, un remaniement de ce que l’on croyait stable, acquis, évident.
1.2. Pourquoi un journal ? Le journal est un espace d’accueil. Un lieu où déposer ce qui bouge, ce qui résiste, ce qui fait peur ou ce qui commence à émerger. Il permet d’objectiver un ressenti, d’explorer ses représentations, d’écouter ce qui veut se dire sans encore savoir comment. Écrire, c’est donner forme à l’informe, c’est retrouver un dialogue avec soi-même au milieu du chaos possible d’une période de transition.
Un journal de transitions n’est ni un carnet intime ni un rapport d’activité. C’est un outil de structuration intérieure, un compagnon de route qui invite à :
1.3. Un outil d’accompagnement à part entière En formation, en coaching ou en accompagnement thérapeutique, le journal devient :
Il ne remplace pas le lien humain, mais il l’approfondit.
Utilisé seul ou avec un accompagnant, il permet de :
1.4. Deux grands modèles en appui : Bridges et Mezirow Ce document se base sur deux approches reconnues et complémentaires :
Nous verrons dans les chapitres suivants comment chacun de ces modèles éclaire le processus de transition, avant de les intégrer dans une démarche concrète d’accompagnement par l’écriture.
1.5. Une boussole plutôt qu’un GPS Ce journal n’a pas vocation à « gérer le changement » ni à « optimiser la transformation ». Il propose un espace où l’on peut accueillir ce qui se passe, sans jugement ni précipitation.
C’est un carnet d’orientation intérieure, une boussole pour ne pas perdre le nord au moment où tout semble flou.
Chapitre 2 – Comprendre la notion de transition
Le modèle de William Bridges : de la fin au renouveau 2.1. Distinguer changement et transition William Bridges, consultant en gestion du changement, propose une distinction essentielle :
Un changement peut être rapide. Une transition ne l’est jamais.
2.2. Les trois phases du processus de transition Bridges identifie trois phases non linéaires, mais souvent successives, parfois entremêlées :
Phase 1 : La fin – Clôturer sans nier Tout changement important commence… par une fin. Cela peut paraître paradoxal, mais toute transition commence par la nécessité de laisser partir, de reconnaître qu’un cycle se termine.
Cette phase peut générer :
Accompagner cette phase, c’est honorer ce qui se termine, sans l’accélérer. Exemples :
Phase 2 : La zone neutre – Traverser l’inconfort du flou Entre la fin et le renouveau, il y a le vide. Le désert. Le flottement. C’est la phase centrale du processus, souvent négligée… et pourtant essentielle.
La zone neutre est :
Bridges compare cette phase à un cocon : ni chenille, ni papillon. C’est là que se jouent les transformations les plus profondes. Mais pour cela, il faut s’autoriser à ne pas savoir.
Exemples :
Phase 3 : Le nouveau départ – Intégrer et agir La dernière phase est celle du renouveau intérieur. Elle ne coïncide pas nécessairement avec un événement. Elle se manifeste quand une nouvelle clarté émerge, souvent discrète au début.
Caractéristiques de cette phase :
Attention : ce n’est pas l’effacement du passé, mais son intégration. On ne revient pas à « comme avant » : on avance avec une identité réajustée.
2.3. Le modèle en image : une courbe en U Voici une représentation simplifiée :
![]() 2.4. Le rôle du journal dans cette transition
Dans le modèle de Bridges, le journal devient :
Il permet de ne pas fuir trop vite vers l’action, et de ne pas rester coincé dans le passé.
Chapitre 3 – Écrire les trois phases de la transition
Structurer un journal pour traverser la fin, le flou, et le renouveau
3.1. Phase 1 – La fin : reconnaître, honorer, laisser partir Cette phase est souvent négligée dans les accompagnements : on veut « avancer » trop vite. Or, ce qui n’est pas nommé persiste. Écrire la fin, c’est permettre à la conscience de formuler ce qui se termine pour que l’énergie cesse de lutter et commence à intégrer.
Objectifs de cette phase :
Questions pour l’écriture :
Exercices proposés :
3.2. Phase 2 – La zone neutre : accueillir, explorer, écouter C’est la phase la plus inconfortable… et pourtant la plus puissante. Le journal devient ici un espace-refuge pour formuler les doutes, errer sans danger, et laisser émerger de nouveaux éléments.
Objectifs de cette phase :
Questions pour l’écriture :
Exercices proposés :
3.3. Phase 3 – Le nouveau départ : nommer, projeter, s’engager Cette phase n’est pas un grand moment de triomphe, mais souvent un petit pas aligné. Elle demande du discernement : ce n’est pas faire pour oublier, c’est agir depuis un lieu plus vrai.
Objectifs de cette phase :
Questions pour l’écriture :
Exercices proposés :
Conclusion de ce chapitre Ces trois phases ne sont pas des cases à cocher : elles sont des paysages intérieurs à traverser, avec leurs résistances, leurs beautés, leurs lenteurs. Le journal de transitions offre une structure vivante et souple, à la fois :
Chapitre 4 – L’apprentissage transformateur selon Jack Mezirow Changer de regard pour changer de vie
4.1. Un autre regard sur le changement : la transformation du sens Là où Bridges explore la transition comme un passage émotionnel et symbolique, Jack Mezirow, sociologue de l’éducation, s’intéresse à ce qui change dans la manière de penser, de donner sens à ce que l’on vit.
Selon lui, une transition importante ne modifie pas seulement ce qu’on fait ou ressent, elle transforme notre cadre de référence, c’est-à-dire :
Changer, c’est apprendre à penser autrement.
4.2. Les cadres de référence : ce que nous croyons sans le savoir Mezirow parle de « cadres de référence » pour désigner les schémas mentaux que nous utilisons pour interpréter nos expériences. Ces cadres sont :
Exemples de cadres de référence implicites :
Quand une expérience vient bousculer un cadre, elle peut produire un choc. Si la personne accepte de réfléchir à ce choc, elle peut vivre une transformation profonde et durable.
4.3. Les dix phases de l’apprentissage transformateur Mezirow identifie dix étapes, qui ne sont pas toujours linéaires, mais qui forment un parcours structurant :
4.4. Ce que le journal permet dans ce processus Le journal de transitions est un outil parfaitement adapté à cette approche, car il :
Exemple : Une personne licenciée croit d’abord qu’elle ne vaut rien (cadre ancien). Elle écrit, relit, comprend qu’elle avait lié sa valeur à son emploi. Elle explore d’autres façons de se voir. Elle se découvre créative, utile, même sans statut. Elle crée un projet personnel. Elle ne pense plus pareil. Elle est autre.
4.5. Apprendre à apprendre de sa vie La force de l’approche de Mezirow est qu’elle ne cherche pas à adapter la personne au changement, mais à l’aider à comprendre ce que ce changement vient révéler de son rapport à elle-même et au monde. Le journal devient alors un lieu d’apprentissage réflexif, où écrire, c’est non seulement dire, mais réévaluer, reconfigurer, rechoisir.
Chapitre 5 – Intégrer Bridges et Mezirow : le journal de transitions comme outil combiné Éprouver, comprendre, transformer : une démarche en spirale
5.1. Deux modèles, une même invitation : traverser au lieu de contourner Les modèles de William Bridges et de Jack Mezirow ont des racines différentes :
Mais tous deux pointent la même réalité : Le changement extérieur ne devient transformation intérieure que si l’on accepte d’habiter la traversée.
5.2. Une articulation féconde : émotion et cognition Bridges met l’accent sur l’expérience émotionnelle et existentielle du changement :
Mezirow, quant à lui, éclaire le travail cognitif qui se fait en parallèle :
Ensemble, ils permettent de travailler à la fois la matière vécue (ce qui se sent) et la matrice interprétative (ce qui fait sens).
5.3. La spirale de la transition-transformative Nous pouvons représenter le journal de transitions comme un chemin en spirale : à chaque boucle, une nouvelle conscience, une nouvelle stabilité, une nouvelle posture. Voici une proposition d’articulation des deux modèles dans un processus fluide :
Phase de Bridges Phase(s) de Mezirow Fonction du journal Fin / Clôture 1. Dilemme désorientant2. Auto-examen Identifier ce qui meurt, ce qui résiste, ce qui fait mal. Mettre en mots la perte, les émotions. Zone neutre 3. Analyse critique4. Reconnaissance collective5. Exploration Explorer ses croyances, tester d’autres façons de penser. S’autoriser à ne pas savoir. Nouveau départ 6. Planification7-9. Action, confiance, ancrage10. Intégration Nommer ses nouveaux choix, les rendre tangibles. Se projeter autrement. Se relier à une identité renouvelée.
5.4. Ce que cela change dans l’accompagnement Un journal de transitions bien construit permet de :
Cela devient un outil d’auto-accompagnement structuré, ou de co-accompagnement conscient (en coaching, en formation, en thérapie).
5.5. Une méthode, pas une recette Intégrer Bridges et Mezirow ne signifie pas forcer le vécu à entrer dans un cadre. Cela signifie proposer une carte souple, une grille de lecture qui :
Chapitre 6 – Méthodologie concrète : structurer un journal de transitions Un outil vivant, progressif et adapté à la personne
6.1. Objectifs d’un journal de transitions bien structuré Un journal de transitions n’est pas un simple carnet de bord. Il est pensé comme un espace de transformation intérieure, avec une intention claire : Permettre à la personne de traverser un changement profond en mobilisant ses propres ressources réflexives, émotionnelles et cognitives.
Il vise :
6.2. Cadre de mise en œuvre 6.2.1. Format et support
6.2.2. Fréquence d’écriture
6.2.3. Temporalité
6.3. Posture d’écriture
6.4. Accompagnement éventuel (coach, formateur, thérapeute) Ce journal peut être utilisé :
Dans ce cas :
6.5. Structuration pratique du journal Voici une suggestion d’organisation du contenu : Partie du journal Contenu principal Période indicative Préambule Pourquoi j’ouvre ce journal ? Quelle est ma situation ? Jour 1 Phase 1 – Fin Ce qui se termine, ce que je perds, ce que je laisse, les émotions Semaine 1 à 3 Phase 2 – Zone neutre Le flou, les questions, les contradictions, les ressources Semaine 3 à 6 Phase 3 – Nouveau départ Ce que j’en tire, ce que je choisis, ce que j’incarne Semaine 5 à 8 Des pages libres ou créatives (collages, dessins, phrases fortes, rêves) peuvent être ajoutées à tout moment.
6.6. Quelques conseils concrets pour la personne qui écrit
Chapitre 7 – Exemples d’utilisation en coaching, formation et thérapie Adapter le journal de transitions à différents contextes d’accompagnement
7.1. En coaching individuel : accompagner une bascule de vie Cas concret : reconversion professionnelle Contexte : Une cadre de 42 ans, après un épuisement professionnel, envisage de quitter son entreprise. Elle ne sait pas encore quoi faire, mais sent que quelque chose doit changer profondément.
Utilisation du journal :
Bénéfices observés :
7.2. En coaching d’équipe : gérer une réorganisation interne Contexte : Une équipe pédagogique traverse une réorganisation imposée. Certains postes sont déplacés, les habitudes bouleversées.
Utilisation du journal (en atelier guidé) :
Bénéfices observés :
7.3. En formation : apprendre à accompagner la transition Public : enseignants, professionnels de la santé, travailleurs sociaux en formation continue. Objectif pédagogique : permettre aux participants de vivre eux-mêmes une démarche de transition pour mieux accompagner celles des autres.
Dispositif proposé :
Bénéfices observés :
7.4. En thérapie : faire du journal un co-thérapeute Cas concret : un homme de 55 ans traverse un deuil suite à la perte de son épouse.
Utilisation du journal :
Bénéfices observés :
7.5. En auto-accompagnement : une personne face à un carrefour Contexte : une personne utilise le journal seule, sans accompagnement formel, après un déménagement douloureux et une rupture.
Mise en œuvre :
Bénéfices observés (retour recueilli plus tard) :
Conclusion du chapitre Le journal de transitions est un outil profondément adaptable :
Chapitre 8 – Fiches pratiques et activités guidées Accompagner l’écriture par des propositions claires, riches et adaptables
8.1. Phase 1 – Clôture, perte, fin de cycle Objectif : reconnaître ce qui s’achève, formuler le deuil, relire l’histoire sans la figer.
Fiche 1 – Lettre à ce que je quitte
Fiche 2 – Inventaire de transition Ce que je laisse Ce que je garde Ce que je transforme Routines, rôles, obligations, illusions Valeurs, compétences, liens essentiels Modes de fonctionnement, priorités, façons de penser
Fiche 3 – Métaphore du départ
« Et dans ce paysage, ce qui meurt est… ce qui attend de renaître est… »
8.2. Phase 2 – Zone neutre, flou fertile, errance créative Objectif : accueillir le vide, nommer le trouble, semer sans exigence.
Fiche 4 – Carte des ressources
Trace un cercle et positionne ce qui te soutient dans ce moment incertain.
Fiche 5 – Dialogue de mes voix intérieures
Peur : Je crains que… Peur : Je crains que… Intuition : Je crois que… Intuition : Je crois que… Besoin : J’ai besoin de… Besoin : J’ai besoin de… Sagesse : Ce que je sais au fond, c’est que… Sagesse : Ce que je sais au fond, c’est que…
Fiche 6 – Journal du flou
8.3. Phase 3 – Nouveau départ, clarté émergente Objectif : formuler une vision, ancrer les élans, poser des actes.
Fiche 7 – Lettre à mon moi futur
Fiche 8 – Vision d’après
Laisse émerger un paysage de désir plus qu’un plan d’action.
Fiche 9 – Mon manifeste personnel
8.4. Bonus – Une fiche de rituel d’intégration Fiche 10 – Le geste symbolique
Ce n’est pas une fin. C’est un ancrage du mouvement intérieur dans le monde réel.
Chapitre 9 – Conclusion générale : accompagner sans précipiter, écrire pour éclairer De l’écriture comme traversée vivante et consciente des transitions
9.1. Ce que permet le journal de transitions Le journal n’est pas un outil anecdotique. C’est une pratique de soin, de structuration, d’auto-accompagnement. Il transforme l’impulsion de fuir ou d’agir trop vite en un geste d’écoute patiente et fertile. Dans un monde qui valorise la rapidité, le contrôle, le résultat, il offre une pratique lente, lucide, humble. Il ne vise pas à “aller mieux” tout de suite, mais à aller plus juste, avec soi.
9.2. Ce que Bridges et Mezirow nous enseignent ensemble
Le journal devient alors une trace vivante du passage :
9.3. Pour l’accompagnant : tenir l’espace, ne pas précéder Utilisé en formation, en coaching ou en thérapie, ce journal n’est pas un protocole. C’est un cadre d’écoute que l’on propose, mais que la personne habite à sa façon.
L’accompagnant :
Il fait confiance à la force du cheminement, à la cohérence émergente, au mouvement lent mais juste du vivant.
9.4. Pour la personne accompagnée : redevenir auteur de son récit Un journal de transitions est un outil de reconquête :
À chaque mot posé, quelque chose se dépose, s’éclaire, s’aligne.
9.5. En guise de dernière phrase… Nous n’écrivons pas pour raconter une vie parfaite. Nous écrivons pour accompagner le réel, là où il tremble, là où il renaît, là où il appelle à être regardé.
Un journal de transitions n’est pas une ligne droite. C’est une trace sinueuse, mais précieuse. C’est un fil de sens, tendu entre ce que l’on quitte… et ce que l’on devient.
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